• Ca faisait au moins une demie heure qu'il était la, en face du miroir, coiffant soigneusement ses cheveux, arrangeant nerveusement ses habits.
    Il aurait voulu mettre quelque chose de neuf, d'original, qui n'auraient pas manqué de faire bonne impression mais il n'avait que son vieux jean délavé, sa chemise grise toute fripée et ses vieilles chaussures qu'il avait astiqué la veille.
    Au moment d'ouvrir la porte pour sortir, il sentit une main qui le retenait, il se retourna et croisa le regard inquiet de sa mère. Il lui adressa un sourire hésitant et lui baisa affectueusement le front. Ses mains tremblantes et tordus cherchaient les siennes et s'y agrippèrent fermement.
    - N'y vas pas mon fils, s'il te plait n'y vas pas...
    - Je serai prudent, je te le promais. je serai bientôt de retour.
    Elle hocha vigoureusement la tête  s'agrippant encore plus fort à ses manches.
    Il se dégageât doucement, se retourna et sorti précipitamment de l'appartement.
    Dehors une brise légère décoiffait ses cheveux. Il mit ses lunettes de soleil et pesta contre la poussière qui recouvrait déjà ses souliers.
    Il fit un long détour, empruntant des ruelles désertes, marchant vite comme pour fuir des démons invisibles. Il tourna au coin d'une rue et déboucha sur une grande artère. Il sprinta quelques mètres et se planta face au fleuriste. Il acheta des œillets rouges, les fleures qu'elle aimait le plus quelques lilas et deux roses...Il imaginait son sourire, ses joues colorées de pudeur et le temps d'une seconde il contempla le bouquet se rappelant des jours heureux. Les hurlements agressifs d'une ambulance le remmenèrent brusquement à la réalité de cette rue de Bagdad, au milieu des façades éventrées.
    Quelques minutes plus tard il arriva enfin près de chez elle. Elle était la, l'attendant au coin d'une rue. Elle tenait un petit paquet dans les mains, probablement son cadeau. Son cœur sursauta comme a chaque fois qu'il la voyait, elle était  si belle si fragile. Elle sourit en le reconnaissant et marcha dans sa direction.
    Soudain sa vue fut brouillée par un nuage de flammes, un bruit sourd et étouffé  lui fracassa les tympans. Il se retrouva par terre projeté par un souffle d'une puissance inouïe. Il regarda autour de lui et ne vit qu'une fumée noire qui emplissait ses poumons. Aucun bruit ne lui parvenait sonné qu'il était par la déflagration. Un homme en haillons ensanglanté émergea de la fumée hurlant de toutes ses forces. En quelques instants a peine une vision d'horreur s'offrait a lui ; des regards hagards des gens qui couraient dans tous les sens des corps désarticulés jonchaient le sol maculé d'immenses taches rouges et ce silence irréel qui l'enveloppait. Il vit son bouquet a quelques mètres de la, baignant dans une marre de sang avant de sombrer dans un trou noir et silencieux.
    Il entendit les éclats de rires de ses jeux d'enfants, sentit  le soleil brulant des camps de vacances de son adolescence, et entendit la voix de sa mère appelant  son nom, au milieu d'un brouhaha confus. il sentit des mains se saisir de lui, l'envelopper le serrer lui insufflant un souffle de vie. Il ouvrit les yeux et fut aveuglé par la lumière du jour, il vit le visage défait de sa mère penché sur lui, au milieu du chaos, elle l'avait suivie sans qu'il ne s'en rende compte pour être sure qu'il ne lui arrivera rien. Elle le tenait dans ses bras et hurlait son nom. Il la regarda un moment, et lui sourit, hébété, perdu au milieu des débris, des gens qui s'attroupaient déjà autour d'eux,  des sirènes qui accouraient, des coups de feu tirés.

    Il lui dit qu'il allait bien, se releva et tituba quelques instants. Sa mère lui prit le bras en hochant la tète. Il comprit qu'il n'y avait plus rien à faire et prit soudain conscience de ce qui leur arrivait. C'est le lot quotidien des irakiens, qui  les frape sans répits, même le jour de la St-Valentin.

    Joyeuse St-Valentin


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  • Une silhouette frêle et fragile déambulait le long de la rue de Crimée. Tantôt marchant tantôt courant derrière son ombre dans un jeu solitaire et innocent. 8 ans, déjà fugueur il s'en allait vers l'inconnu  à la quête d'une liberté longtemps souhaitée.
    Il avait toujours aimé les rues sinueuse de paris, ses bâtisses vieilles et coquettes, ses églises imposantes et mystérieuses.
    Au coin d'une rue, il déboucha sur un square qu'il n'avait jamais connu auparavant. Frais et ombragé, bordé de longs Platanes d'Orient dont les feuilles, murmuraient des mélodies au grès d'une fraiche brise matinale.
    Il n'avait pas beaucoup marché mais il avait l'impression d'être déjà arrivé à l'autre bout du monde. Il s'assit sur un banc et commençait à réfléchir sur le bien fondé de son expédition.
    Il vit, non loin,  un enfant, du même âge que lui, lui faisant des signes de s'approcher, un autre petit garçon était accroupi les yeux grands ouverts de surprise et d'émerveillement.
    Au pied d'un arbre, gisait une quantité impressionnante de jouets de toutes sortes, des animaux, des soldats, des voitures... plus qu'il n'en fallait pour peupler leurs rêves fertiles d'enfants. 
    Ils jouèrent longtemps, plongés dans un monde imaginaire et féerique, parcourant le petit parc d'un bout à l'autre, oubliant du coup tout ce qui les entourait.
    Quand il fut temps de partir ils se remplirent les poches de jouets et se donnèrent rendez vous pour le lendemain, même heure même endroit, tant d'aventures les attendaient...
    Quelques années plus tard
    De gros nuages gris et menaçants se rapprochaient d'Alger grondant et mugissant tel des fauves. Une fine pluie, a peine visible, rappelait aux  trainards qu'il fallait presser le pas. Au milieu de la table qu'il avait choisie un livre trônait : Petits poèmes en prose de Charles Baudelaire.
    Il l'avait acheté quelques minutes auparavant, séduit par quelques passages lu au hasard des pages.
    Il l'ouvrit de nouveau et ne put s'empêcher de revenir sur ce titre qui l'avait tant accroché : Le joujou du pauvre :
    Je veux donner l'idée d'un divertissement innocent. Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables! Quand vous sortirez le matin avec l'intention décidée de flâner sur les grandes routes, remplissez vos poches de petites inventions à un sol, - telles que le polichinelle plat mû par un seul fil, les forgerons qui battent l'enclume, le cavalier et son cheval dont la queue est un sifflet, - et le long des cabarets, au pied des arbres, faites-en hommage aux enfants inconnus et pauvres que vous rencontrerez. Vous verrez leurs yeux s'agrandir démesurément. D'abord ils n'oseront pas prendre; ils douteront de leur bonheur. Puis leurs mains agripperont vivement le cadeau, et ils s'enfuiront comme font les chats qui vont manger loin de vous le morceau que vous leur avez donné, ayant appris à se défier de l'homme.


    Des images d'une autre vie lui revenaient comme dans un rêve. Il revoyait Paris et ses ruelles, les visages de ses compagnons de jeu, le parc, théâtre grandiose de leurs rêveries, les jouets brillants et multicolores au pied de l'arbre, la joie et le bonheur partagés, les éclats de rires francs et contagieux... Il en avait les larmes aux yeux, car  tout cela était l'œuvre d'une personne inconnue, cachée non loin de là partageant leur jeu et leur joie. Combien de fois était elle venue les voir jouer, combien de sourires, complices et réconfortants leur avait elle adressé.
    Et ce Baudelaire, rebelle et humain, artisan complice de leur emerveillement....

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  • Le soleil rayonnait sur Paris ce jour là. Mes pas raisonnaient sur le pavé trompé, et mon ombre me suivait tel un fidèle toutou. Je descendais le long de la rue de Crimée, mon petit sac sur le dos, sans savoir où j'allais, et je m'en foutais royalement, car après tout j'avais 8 ans et pour la première fois de ma vie je fuguais...Un grisant baptême de la liberté auquel tout enfant devrait avoir droit au moins une fois dans sa vie. Une sorte d'avant goût de la vie d'adultes sans les problèmes bien entendu. Enfin libre, libre de faire ce que je veux, d'aller ou je veux, sans me faire gronder ou me faire tapoter le derrière. Je savourais chaque instant de ma nouvelle vie d'insouciance qui commençait, et à peine avais je fais quelques mètres, que je  pris la décision de m'accorder  une pose pour réfléchir a tout ça. Je m'assis sur un banc et sortis de ma poche le petit sandwich que je m'étais préparé la veille.  Soudain mon regard fut attiré par un arbre au pied duquel était éparpillée une quantité incroyable de petits jouets. Je m'approchais incrédule en me frottant les yeux pour être sure que je ne rêvais pas. Les jouets étaient bien là, des petits soldats, des animaux de toutes sortes, des voitures de course, des motos, des camions de pompiers... j'étais au paradis. Un jouet m'attirait tout particulièrement, c'était une petite voiture coccinelle rouge...Je la glissais dans mon sac et ramassais autant de petits jouets que mes poches pouvaient en contenir et m'en retournais chez moi, car après tout a quoi sert de fuguer quand on est aussi riche en jouets.
    Quelques années
    plus tard...
    14h30, j'étais largement en avance. Je pris place à une table et regardais dehors. Une fine pluie martelait l'asphalte de la rue Michelet à Alger, forçant les gens à accélérer leurs pas. Avant de venir à mon rendez-vous, J'étais passé au marché de la rue de la lyre, pour faire le tour des bouquinistes et je n'avais pas pu résister devant un petit livre dont la couverture en cuir rouge portait le titre : petits poèmes en prose de Charles Baudelaire.
    Je commandais un café et feuilletait mon livre au hasard des pages. Je tombais sur Le joujou du pauvre et commençais à le lire avec un sourire au coin des lèvres. 

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />Je veux donner l'idée d'un divertissement innocent. Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables! Quand vous sortirez le matin avec l'intention décidée de flâner sur les grandes routes, remplissez vos poches de petites inventions à un sol, - telles que le polichinelle plat mû par un seul fil, les forgerons qui battent l'enclume, le cavalier et son cheval dont la queue est un sifflet, - et le long des cabarets, au pied des arbres, faites-en hommage aux enfants inconnus et pauvres que vous rencontrerez. Vous verrez leurs yeux s'agrandir démesurément. D'abord ils n'oseront pas prendre; ils douteront de leur bonheur. Puis leurs mains agripperont vivement le cadeau, et ils s'enfuiront comme font les chats qui vont manger loin de vous le morceau que vous leur avez donné, ayant appris à se défier de l'homme.

    Et soudain je me souvenais de tout, une image nette et précise s'étalait devant mes yeux, je sentais le soleil sur ma peau, le goût du sandwich dans ma bouche, je revoyais paris, et sentais son odeur, le près St-Gervais, ses ruelles calmes et silencieuses, je revoyais la coccinelle rouge et me rendit compte que s'était moi le petit enfant, et même si je n'étais pas pauvre, la découverte d'un tel trésor aurait émerveillé n'importe quel enfant de mon âge.
    J'en avais les larmes aux yeux, je voulais dire merci à cet inconnu, qui, voulant se divertir innocemment, m'avait fait tellement plaisir.  Caché non loin, il était le complice et l'artisan de mon émerveillement, et surtout merci à Baudelaire, ton idée est d'un humanisme et d'une simplicité baudelairienne, tu es génial...


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